Elle avait été cueillie, Alma, à l'aube du matin encore jeune, au creux des songes dont elle ne se souvenait plus même la saveur; réveillée par une main qui se posa sur son bras et la secoua gentiment. Remontant les strates du sommeil qui la laissaient hagarde, dans l'incompréhension de ce qu'il se passait, elle posa ses yeux embués sur le professeur Chourave qui, le chapeau de travers sur ses cheveux en bataille, une épaisse robe de chambre en coton bleu, la regardait avec un sourire doux. « hmm, qu'est-ce que..? ». La directrice de sa maison était assise sur son lit et dans sa main, c'était sa baguette qui les éclairait toutes les deux. Chuchotant, elle lui dit « Spinnet, le directeur souhaite vous voir. » L'esprit encore embrumé par le sommeil qui ne parvenait pas à la laisser partir, elle cligna des yeux, se redressant dans son lit. « Le .. Qui ? » Le professeur Chourave se releva et, jetant un œil anxieux aux silhouettes qui commençaient à bouger dans les lits alentours, rajouta « Dumbledore. Maintenant.. Habillez vous et suivez moi, s'il vous plaît. » Il n'y avait pas d'alerte dans sa voix, ce n'était pas une urgence absolue si elle avait le temps de s'habiller, pourtant, Alma ne s'y trompa pas. Elle n'avait jamais été amenée à parler seule à seul avec Dumbledore, il ne pouvait y avoir qu'une explication; quelque chose était arrivé. Rejetant la couette avec force, elle se jeta dans ses habits pendant que Chourave l'attendait à l'entrée du dortoir. C'était Alicia, très probablement. Elle repensa aux marques sur ses bras, s'en voulut de ne pas avoir plus investigué ce qu'elle avait vu à Noël après leur retour à Poudlard. Elle se figea. Ou Alec. Après tout, il n'avait pas reparu après le repas de Noël. Son coeur semblant dégringoler dans sa poitrine, elle courut presque derrière Chourave pour garder le même rythme qu'elle et très vite, les deux sorcières arrivèrent devant la statue à l'entrée de son bureau. Chourave marmonna un mot de passe qu'elle n'entendit pas et la couvrit un instant d'un regard compatissant avant de tourner les talons, confirmant à Alma que quelque chose de terrible était arrivé; si sa directrice de maison ne l'accompagnait pas, c'est que cela n'avait rien à voir avec les cours. Toquant doucement à la porte, elle l'ouvrit sur le professeur Dumbledore qui, assis dans son fauteuil doré lui sourit en lui proposant un siège. Rapidement, Aj et Amalia les rejoignirent et, les serrant brièvement contre son coeur, elle demanda « Que se passe-t-il professeur? » Il ouvrit un tiroir et en sortit une tasse à thé pourpre, ébréchée, et, d'un informulé, la fit briller et vibrer. Regardant la montre à gousset qu'il avait sortit de la poche de sa robe de sorcier il leur adressa « Ceci est un portoloin, il vous emmènera dans deux minutes chez votre sœur, Alicia. Elle vous expliquera tout. » Se levant, il vint déposer la tasse devant eux et ils y posèrent le doigt. Elle sentait palpiter entre eux la même anxiété de ne pas savoir ce qu'il se passait, et de se faire les pires scénarios. C'était donc Alec? « Essayez de ne pas vous inquiétez plus que nécessaire. Tant que vous êtes ensemble, vous pourrez tout affronter. » La dernière vision qu'elle eut du bureau fut le sourire doux de Dumbledore, son regard pétillant par dessus ses lunettes en demi-lune et le geste qu'il faisait de sa main pour leur dire au revoir. Quelques secondes plus tard, luttant contre l'envie de rendre son repas de la veille, Alma, AJ et Amalia posèrent les pieds dans la ruelle devant chez Aly. Alma lâcha la main d'Amalia qu'elle avait attrapé en prenant le portoloin, par réflexe et la porte d'entrée de leur sœur s'ouvrit sur elle, plus fatiguée qu'ils ne l'avaient probablement jamais vue. Les cernes sous ses yeux étaient si sombres qu'elles paraissaient inquiétantes et elle avait l'air de ne pas vouloir autre chose que s'allonger et dormir. Elle était hésitante, ils pouvaient le sentir et, passant le pas de la porte de son appartement, Alma la serra contre elle, plus fort qu'elle l'avait prévu, le coeur battant douloureusement à ses côtes. « Aly, qu'est-ce qui se passe ? »

(samedi 16 janvier 1999)

Le jeune Serdaigle remue dans ses draps, happé par un rêve des plus étranges où ses dessins de la veille prennent soudainement vie, avant d'être réveillé par une voix des plus familières. Il marmonne dans sa barbe (ou plutôt, dans son oreiller à ce moment de la journée), gémissant du bout de ses lèvres des propos vindicatifs vis-à-vis de la voix. - Mh, va-t-en..., grommelle-t-il à l'encontre de son camarade de maison (et préfet, faut-il ainsi le souligner). Seulement, la voix n'arrête pas tout autant, et est même plus qu'insistante, tout comme cette main qui vient le secouer. Mais quel toupet ! - Par la barbe de Merlin, j'essaye de dormir !, s'exclame alors Arjun qui s'oblige d'ouvrir les yeux et qui aperçoit enfin l'auteur de cette mauvaise blague. - Kenneth, c'est pas drôle, qu'est-ce que tu fais ? L'élève de sixième année lui explique alors ce que Flitwick lui a chargé de faire et de dire, avant de bombarder A-J de questions. Ce dernier peine évidemment à lui répondre, complètement déboussolé par le réveil soudain et les causes qui en découlent. Ses propres pensées ont du mal à s'imaginer ce pour quoi le directeur de sa maison l'a convoqué dans le bureau de Dumbledore. Est-ce qu'il a fait quelque chose de mal ? Pas à ce que je sache. Et puis, le grand sorcier de tout Poudlard aurait attendu un moment plus propice pour en parler avec lui s'il y avait eu un problème avec un autre élève. Non, il s'agit de quelque chose de plus grave, et un poing serré ne fait alors que grandir dans la poitrine de l'adolescent à mesure qu'il se dirige vers le bureau du directeur de l'école. Je ne rêve pas ? La brume semble se dissiper avec la peur grandissante, mais son esprit peine à suivre la cadence accélérée du myocarde. Il lui arrive parfois d'avoir peur dans ses rêves, alors pourquoi tout ceci n'en serait pas également un ? Comble du mirage, ses deux sœurs jumelles sont présentes après qu'il est gravi l'escalier en colimaçon. Arjun sent sa tête tourné, ne sachant plus trop quoi penser de tout cela. Il dévisage les traits inquiets d'Amalia et d'Alma, non sans vraiment savoir où se positionner. Leur embrassade semble belle et bien véritable, mais le doute subsiste, s'accroche à son esprit, refuse de partir. Il le laisse dans une sorte de cocon protecteur, comparable à celui qu'il ressent dans certains rêves, certaines discussions concernant sa défunte mère. A-J se laisse donc entrainer par les adultes et ses sœurs. Il suit le flot et touche le portoloin qui l’emmènera chez Alicia où les choses vont sûrement se complexifier, se tordre.
Le tunnel le secoue et a l'effet d'une douche froide. Il en ressort grandement secoué, prêt à cracher sa bile, à défaut de ne rien avoir dans le bide. A-J a du mal à se concentrer sur l'espace qui l'entoure, mais aperçoit quand même sa grande soeur au milieu d'une pièce remplie de cartons et aux murs vides. Ses sœurs ont l'intelligence et le réflexe de demander à leur ainée ce qu'il se passe. Les oreilles d'Arjun ont beau sifflé, l'adolescent les entend prononcer leurs allégations les plus folles qui le rend encore plus secoué et malade qu'auparavant. Son teint pâle renvoie le mal de coeur qui s'abat depuis plusieurs secondes sur son corps fragile et affamé. La voix d'Amalia transperce ses tympans et son palpitant à mesure qu'elle appelle leur grand frère, dont la silhouette ne se démarque pas des murs blancs. A-J a l'impression que le temps s'allonge alors que les battements de son myocarde résonne dans le creux de ses oreilles, bien trop fortement. Quelque chose ne va pas. Le visage d'Alicia en témoigne rapidement l'augure et les raisons qu'elle détient commence à soulever la panique chez les triplés. Le malaise grandit chez le garçon, soudainement transi par une sueur froide qu'il essuie de la manche de son soit-disant pyjama. - Qu'est-ce qui... s'est passé ?, assez fort, espère-t-il, pour se faire entendre d'Alicia. Sa question résonne dans sa tête à mesure qu'il s'efforce de chasser le malaise pour être prêt à faire face à la dramatique nouvelle. Arjun aimerait maintenant se donner une gifle pour se réveiller et être en capacité à avaler n'importe quel drame qu'annoncera sa grande sœur. Il ne peut s'agir que de cela, sinon une lettre aurait suffi, sinon Dumbledore ne les aurait pas laissé partir de Poudlard. Et si ? Et si la nouvelle est plus grave que ce qu'il ne pensait ? - Alec. Il- il va bien ? Il est pas... A-J a du mal à finir sa question, tant l'émotion casse sa voix et écrase sa gorge, les larmes affluant dans les coins de ses paupières.
Non. Non, c'est pas ça.
Aly, dis-moi que c'est pas ça.
Pas lui. Pas Alec. Pas son grand-frère.
Pas comme leur mère.

Elle observa en silence le ballet de son frère et sa sœur, inquiets comme elle de la nouvelle qu'Aly ne leur avait pas encore offert. Amalia se mit à appeler nerveusement le nom de son frère dans l'appartement de leur sœur tandis qu'Arjun perdait le peu de couleur qu'il lui restait encore quelques minutes auparavant au niveau des joues. L'inquiétude s'était emparée d'eux et pourtant, étonnamment, Alma parvenait à rester calme. Il n'y avait qu'à l'intérieur qu'elle bouillonnait, incessant va et vient de son esprit, supplique silencieuse adressée à elle ne savait qui. Pas Alec. Pas Alec. Son regard suppliait Alicia d'abréger leurs souffrances et de leur dire maintenant, ce qu'il en était, vite, que cette attente insoutenable cesse. Plus encore que les premiers mots qui parvinrent à passer la frontière de ses lèvres, ce fut la fragilité de leur aînée lorsqu'elle préféra s'asseoir qui cueillit Alma en plein cœur. Et pourtant, il battait à en perdre haleine, ce cœur, presque au bord des lèvres, accompagné d'une nausée tenace mais il lui sembla qu'il était si douloureux, alors, qu'il aurait tout aussi bien pu s'arrêter d'un coup, sans crier gare. Il s'est passé quelque chose le soir du nouvel an. Lui revinrent en tête immédiatement toutes les lettres qu'elle lui avait envoyées depuis le fameux repas de Noël, ces reproches à demi voilés, cette envie de le retrouver, et cette absence de réassurance dans ses mots, ces missives gênées par le regret de n'avoir pas su être celle qui trouverait quoi dire, quand le faire et comment apaiser les tensions. Les mots d'Alicia ne s'arrêtèrent plus de pleuvoir et pourtant, les yeux irrémédiablement secs, Alma suppliait en silence pour qu'elle se taise. Stop. N'en dis pas plus. Arrête. Un silence s'installa entre eux, du genre de ceux qui se déploient lors de trop intenses réflexions. Elle avait peur, Alma, peur de ce qui les attendait à présent, peur de n'avoir pas été assez douce avec son frère alors que celui-ci était hospitalisé et surtout, elle sentit grandir en elle une vague de colère comme elle n'en avait jamais ressenti. Doucement, elle enfla en elle, comme un de ces ballons qu'ils gonflaient pour les anniversaires des plus petits pour finir par prendre toute la place, chassant la peur, la consternation, la culpabilité. Parce qu'elle n'arrivait pas à ressentir autre chose, parce qu'elle passa à côté de ce que ressentait son aînée et qu'elle la rendit responsable de ce qu'elle n'avait pas fait. « Et tu as attendu quinze jours pour nous en parler ... » Elle en avait assez; assez d'être prise pour une gamine, assez qu'on la couve trop, trop souvent, qu'on oublie qu'elle était, qu'ils étaient avant tout des personnes de cette famille, aux sentiments réels et tout entiers dédiés à leur famille. Elle en avait marre. « Est-ce qu'on peut au moins aller le voir ? Ou alors non, on nous considère encore comme des bébés et aller à Ste Mangouste est trop difficile pour nous?   » Les mots sitôt jetés au visage de leur aînée achevèrent de la consterner plus encore; si elle s'en voulut immédiatement, elle ne s'excusa pas pour autant. Pas encore.

@Alicia Spinnet  @Arjun Spinnet  

Elle avait l'impression de suffoquer, sous le poids de tout ce qu'elle ressentait actuellement et qui se mélangeait en elle, en un méli-mélo bruyant. Elle avait peur pour son frère, besoin de le voir, de le serrer contre elle. Elle était en colère contre Alicia, plus encore contre leur père. Elle était peinée de n'avoir pas été mise dans la confidence. Et surtout, elle se sentait si mal de lui en avoir voulu de ne pas répondre à ses hiboux, le pensant trop en colère encore pour oser lui écrire, et se croyant parfaitement dans son droit de lui en vouloir. Elle avait été ridicule et peut-être lui avait-elle fait de la peine alors même qu'il luttait pour sa vie, dans ce lit d'hôpital qu'elle savait pour y avoir logé, trop petit pour lui. Elle l'imagine seul un bref instant, recevant les missives quasi quotidiennes ou elle le suppliait de revenir et les larmes lui montèrent au yeux qu'elle écrasa en les fermant rageusement. Elle avait été puérile, idiote et lui l'avait été plus encore en ne répondant pas. Qui laissait les gens se faire autant de soucis sans répondre ? N'y avait-il pas eu un soignant pour l'aider à rédiger une simple lettre si ses doigts ne le lui permettait pas? Et alors que la bulle de sa colère semblait prête à exploser injustement sur son aînée, elle lui asséna un coup qui moucha jusqu'à sa respiration. Il ne préfère pas. Toutes ces années à se croire si liés, soudés, et quand enfin c'était lui et non plus elle qui était dans le besoin, il ne préférait pas. Figée, murée dans son silence, elle observa un instant sans rien dire les paumes de ses mains ouvertes, se sentant plus inutile que jamais, un poids depuis la naissance, celle qui était toujours malade, celle qui était si fragile et qui aujourd'hui, n'était même pas un soutien envisagé par son frère, son propre sang. Qu'il était difficile de ne pas se sentir à la hauteur, quand une personne qu'elle aimait de tout son cœur était dans le besoin. Alicia poursuivit et son cœur s'imprégna un bref instant de jalousie à l'idée de cette relation privilégiée qu'ils avaient noué dans drame et la douleur alors qu'elle-même n'avait pas même eu de réponse à un hibou. Elle n'arrivait pas à lever les yeux vers sa sœur, elle continuait de se sentir bouillir à l'intérieur et même la présence rassurante d'Amalia et d'A-j à ses côtés ne parvenait pas à l'apaiser. Ce furent les derniers mots d'Alicia qui chassèrent la colère, la jalousie et la mesquinerie qui s'étaient emparés d'elle. Leur père montrait une nouvelle fois, la splendeur de toutes les mauvaises décisions qu'il prenait. Il n'avait pas hésité à mettre Alicia à la porte et maintenant qu'elle aurait tant aimé être d'un plus grand soutien pour Alec, lui, qui le pouvait, avait décidé d'emprunter la voie de la haine. Elle se leva et, sans guère prévenir, entoura Alicia de ses bras fluets pour la serrer contre elle. Se retenant de ne pas céder aux larmes, le visage enfoui dans les cheveux d'Alicia, inspirant fort l'odeur de son enfance, le parfum des années douces et de la maison, elle chuchota « On n'a pas besoin de lui. Ca va aller, tu vas voir, on va s'en sortir. » Elle attendrait le temps qu'il faudrait pour aller voir Alec, elle attendrait qu'il soit prêt, elle saurait faire preuve de patience. Caressant les cheveux de sa sœur, elle espérait cette étreinte aussi réconfortante qu'elle l'était pour elle, alors qu'elle sentait les petits morceaux de son cœur fissuré se réunir pour tenter de se réassembler.