Le fil des pensées de Blaise suivit le sien et il évoqua à voix haute ce qu’elle redoutait. Non pas qu’elle n’aimait pas parler, Hestia, mais hormis l’univers duquel ils étaient issus l’un l’autre et leur maison à Poudlard, il n’y avait pas grand-chose qui reliait les deux serpents. Il représentait, à ses yeux, tout ce que leur père aurait adoré et en cela, ils ne pourraient jamais être proches l’un de l’autre ; si elle s’était souvent rappelée qu’il était mal de juger un livre à sa couverture, l’attitude froide en apparence de son camarade de maison n’avait pas été pour lui plaire et ils n’avaient pas dû s’adresser plus de vingt mots en dehors des cours, en un peu plus de sept années. Et elle ne voyait aucun intérêt au fait de changer cela, quand bien même ils seraient bloqués ici pour encore des heures. C’était sans compter sur l’envie de son camarade de s’extirper de la situation délicate dans laquelle ils étaient et sa question, abruptement formulée, lui fit froncer les sourcils. « Nous ne sommes pas mal assortis, dit-elle en insistant bien involontairement sur le « mal ». C’est juste que… Ce n’est pas moi qui l’ai choisi. » Elle se garda cependant d’ajouter qu’à choisir, ses parents ne s’étaient pas trop trompés ; elle préféra conserver sous silence ce point qui ne regardait qu’elle. Il lui sembla improbable que cette seule discussion leur permette de sortir d’ici mais c’est avec confusion qu’elle écouta Blaise surenchérir. Alors, les rumeurs étaient vraies et c’était donc tout bon enfant sang-pur qui se verrait attribuer fiançailles d’ici la fin de l’année. Que diable avaient-ils fait pour mériter cela ? Ne valaient-ils ainsi tellement pas la peine qu’on leur accorde une quelconque place pour exprimer leur opinion ? Non, c’était sans doute cela, pantins qu’ils étaient de desseins bien plus grands qu’eux. « Il t’arrive de te demander… Ce qui arriverait si on n’obéissait pas ? » A dire vrai, cette question lui tournait en tête depuis de nombreux mois et, sa si faible envie d’appartenance à la famille Carrow dans ces conditions l’enjoignait dernièrement à refuser, à quitter la maison, la famille et à voler de ses propres ailes. A part l’éviction et la haine de personnes dont elle ne partageait que le toit par obligation, qu’aurait-elle à y perdre ? La situation était peut-être différente pour lui, et, si elle s’en voulut un instant pour la question qui avait franchi ses lèvres sans qu’elle le décide réellement, elle se rappela que bouder dans un coin de la pièce parce que la porte était fermée ne la ferait pas miraculeusement s’ouvrir. Autant discuter, vu qu’ils semblaient être dans le même bateau. « Je veux dire ; a-t-on réellement à perdre quand on risque de se faire rejeter par ceux qui ne pensent pas même à notre bonheur, dans cette situation. On est fiancés alors qu’on est encore à l’école, bon sang...  » Sa voix s’était terminée dans un murmure et avec elle, c’est toute la mesure qu’elle prenait de la situation. Enfants, fiancés. Dans quel monde infâme évoluaient-ils ?

Le flot de pensées dans lequel avait été jeté Hestia ne l'autorisa pas à rester avec Blaise pendant un bon moment. Pourquoi étaient-ils ici et qu'attendait-on d'eux? Il avait raison, et elle avait bien eu du mal à sortir de son petit carcan de pensées; elle n'était pas la seule concernée, ils l'étaient tous, plus ou moins. L'élite sang-pur avait tellement pour habitude de marier leurs enfants entre eux que depuis bien des générations les sorciers ne s'en étonnaient plus et leurs enfants ne marquaient plus la moindre rébellion à ce sujet. Mais lorsqu'elle regardait autour d'elle, aucun de ses amis ne semblaient heureux de cette situations; Caïn, Flora, Daphne, Theo.. Ils étaient tous concernés mais aucun d'entre eux ne le souhaitaient vraiment; c'était d'un ridicule. Elle fixa Blaise alors qu'il s'ouvrait à elle, légèrement, infiniment plus que ce qu'il avait jamais osé faire en sa présence. Ils n'étaient pas proches, les deux, et il dégageait une froideur qu'elle n'avait jamais souhaité déranger, au point que le nombre de mots échangés devaient être rapidement comptabilisable. Elle l'écouta, les sourcils froncés, se demandant où se trouvait la réalité dans ses mots et surtout, s'ils étaient ceux qu'il pensait vraiment ou ce qu'on lui avait toujours offert, qu'il s'efforçait de croire et de suivre. « Tu as peut-être raison. Mais j'ai peur que le devoir et la possibilité d'être heureux soient deux choses parfaitement différentes. Traite moi de gamine si tu le souhaites, mais à la fin de ma vie, j'espère pouvoir me dire que j'ai été heureuse plutôt que regretter d'avoir accompli mon devoir en dépit du reste. » Les sourcils froncés, elle s'aperçut avec la force de l'évidence que cette phrase reflétait exactement ce qu'elle pensait depuis de longues semaines sans trop parvenir à l'énoncer. Il y avait une résolution nouvelle en elle, qui se frayait un chemin lentement, mais sûrement et elle avait hâte de la découvrir entièrement. Il pulsait en elle une force tranquille à présent, alors qu'elle se dirigea vers la porte. Le loquet avait fait un bruit rassurant à la fin de sa phrase, comme si l'infime part d'honnêteté des deux adolescents qu'ils venaient de livrer quant à leur situation et leur implication dans celle-ci était parvenue à les libérer de cette entrave. Elle ouvrit la porte et se retourna vers Blaise. « On peut y aller, je pense. » Et il était dommage que cet instant soit déjà terminé. Elle le connaissait trop peu pour prétendre le connaître ou ne serait-ce qu'imaginer ce qu'il pouvait avoir en tête, mais elle avait eu l'impression d'entrapercevoir une face de Blaise qui la touchait, cette loyauté sans faille à sa famille, à son nom, à son avenir décidé par d'autres; tout ce qu'elle était trop lâche pour accomplir parfaitement, comme ce qu'on attendait d'elle.