Pour la centième fois ce mois-ci, Alex se retrouvait au milieu des intempéries inexpliquées qui s’étaient abattues sur le château. Les averses orageuses quelques jours auparavant avaient déjà terni la semaine de la jeune sorcière, qui était à présent incapable de rentrer dans la salle commune des aigles. Une météo automnale était soudainement tombée dans les escaliers les séparant de la chaleur de leur lit. Après avoir regardé les autres bleus et bronzes tenter de surmonter les montagnes de feuilles mortes qui bloquaient le passage, après avoir glissée et percuté d’autres élèves rencontrant les mêmes obstacles qu’elle, Alex s’était décidée à faire demi-tour. Elle avait passé son samedi à la bibliothèque et ne rêvait que du confort de son lit, mais elle n’était pas convaincue que la situation soit meilleure à l’intérieur. Attendre quelques heures que les autres réussissent à rentrer au chaud avant de tenter à son tour semblait être a meilleure solution. Une fois la majorité de la foule rentrée, elle croisait les doigts pour que le chaos s’estompe assez pour lui donner une chance. Le vent qui soufflait d’une force considérable avait réussit à la frigorifier alors, bien que le couvre-feu soit imminent, la jeune aiglonne rebroussa chemin le long des escaliers et prit la direction des cuisines, espérant pouvoir s’y glisser pour quémander un chocolat chaud. Habituellement terrifiée à l’idée de se faire surprendre par Rusard ou l’un de préfet, Alex devenait de plus en plus confiante. Elle s’était retrouvée à déambuler le long des couloirs après le couché du soleil plus souvent ces derniers mois que les quatre dernières années de sa vie réunies.
Le calme régnait dans le château, et Alex ne croisa que quelques autres élèves qui semblaient tous se diriger vers leur salle commune. L’atmosphère habituellement suffocante des couloirs devenait enfin respirable lorsqu’ils se vidaient. Le risque d’être surprise hors de son lit si proche du couvre-feu en valait la peine, tant ce court moment de répit était bienvenu. Ses angoisses se taisaient enfin, particulièrement après le couché du soleil. Elle aurait pu déambuler toute la nuit si les règles de l’école le lui permettaient mais, même si l’aiglonne avait moins de scrupules à les enfreindre, elle continuait d’attacher de l’importance à être une élève modèle. Elle fit taire la petite voix dans sa tête qui lui murmurait de faire demi-tour, tentant de se convaincre qu’elle avait encore le temps, que tout le monde passait aux cuisines de temps en temps, et qu’elle avait une très bonne raison de ne pas avoir pu rentrer au dortoir.
Cet interlude paisible ne dura malheureusement que quelques instants. Elle emprunta le couloir qui la mènerait tout droit au confort d’une tasse de chocolat fumante, mais se retrouva face au même spectacle que dans les tours. De nouvelles piles de feuilles entassées au milieu du passages bloquaient l’accès à la salle des blaireaux. Une seule autre élève se tenait là – l’aiglonne était incapable de dire si elle tentait de rentrer ou si elle sortait tout juste de la salle des jaunes et noirs, mais elle avait l’air tout aussi abattue qu’Alex. Cette dernière espérait simplement que l’accès aux cuisines ne soit pas également un parcours du combattant, et s’apprêtait à s’y diriger. Un élan d’empathie l’en empêcha. Elle se retourna vers la blairelle et lui offrit un sourire doux. « On sait vraiment plus à quoi s’attendre ces jours-ci. C’est pareil chez nous. » Le visage de l’autre élève lui était familier et Alex se souvint l’avoir vu à plusieurs reprises en compagnie d’Amaryllis. « On se croirait dans la forêt. » ajouta-t-elle tout en se demandant si elle arriverait enfin à chercher son chocolat chaud avant de devoir remonter jusqu’aux tours.

La Poufsouffle qui faisait face au tas de feuilles titanesque bloquant le chemin avait l’air épuisée, complètement démoralisée par ce nouvel accroc. Cela faisait maintenant plusieurs mois que le château continuait de subir ces changements de saisons aussi impromptus qu’inconvenants. Alex n’était pas la seule élève à se sentir découragée face à tous ces obstacles, qu’ils soient littéraux comme dans les circonstances présentes ou, plus subtils lorsque les températures extrêmes venaient perturber le bon déroulement des cours. Alors que l’aiglonne avait utilisé les intempéries comme une bonne excuse pour déambuler dans les couloirs et prendre du temps pour soi, la jaune et noire n’avait pas l’air de voir la situation avec autant d’optimisme. Alex lui offre un sourire plein d’empathie, ou du moins elle espérait qu’Abigael le voit ainsi. Elle n’avait jamais été très douée pour égayer les autres, et n’était pas certaine que son visage réconforte qui que ce soit.
Malgré cela, l’humeur de la blairelle sembla changer. Elle sourit à Alex à son tour – elles tombaient au moins toutes les deux d’accord qu’il n’y a rien à faire et que s’en prendre à un tas de feuilles ne fera pas avancer la situation. L’aiglonne avait presque envie de rire des circonstances de cette rencontre, mais elle ne souhaitait pas relancer le pessimisme de sa camarade qui, par ailleurs, ne semblait pas la reconnaître. Leur bref rencontre avait eu lieu quelques mois auparavant, et c’était donc sans grande surprise que le visage de la jeune aiglonne ne lui était pas familier. « Alexandra » se présenta-t-elle à son tour, sans se formaliser. Après tout, Abigael avait quelques années de plus qu’elle. La dernière fois qu’elle l’avait vu avait été à une fête bondée – l’une des rares fois où Alex avait fait un effort, enfilé une robe et s’était même maquillée, alors elle n’était pas étonnée qu’on ne la reconnaisse pas avec son uniforme habituel et le manque de soin qu’elle apportait à son apparence lorsqu’elle avait cours.
La proposition d’Abigael lui fit vite oublier ses réminiscences et un sourire, cette fois bien plus honnête et spontané, se dessina sur ses lèvres. « C’était justement ce que j’étais venue faire ici ! » s’exclama-t-elle, ne réussissant pas à cacher son enthousiasme. Sa gourmandise n’avait de limite que le nombre de chocogrenouilles qui pouvaient tenir dans ses poches. Son impatience n’avait cessé de croître depuis qu’elle s’était arrêtée pour discuter avec la blairelle, et elle était certaine que sa capacité à tenir une conversation sera décuplée dès qu’un chocolat chaud lui sera servi.
De bien des manières, Alex était l’une des filles les plus matures de son année, et ce depuis ses premiers jours à Poudlard. Son caractère studieux, sérieux et grincheux était tout ce que la plupart de ses camarades connaissaient d’elle. Mais certains autour d’elle avait découvert son point faible, son talon d’Achille. En vérité, il suffisait d’une poignée de sucreries pour faire fondre le cœur de la jeune bleue et bronze. L’invitation d’Abigael à se faire servir un chocolat chaud aux cuisines avait immédiatement fait disparaître la façade mature de la quatrième année. Alex emboîta le pas à son aînée, qui se dirigeait déjà vers les cuisines.
Le silence régnait dans les sous-sol du château. La plupart des élèves semblaient avoir réussi à accéder à leur salle commune, bravant les intempéries. Le calme qui planait enfin était apaisant aux yeux d’Alex, après une longue journée à préparer les examens de fin d’année, mais elle s’efforça tout de même à faire la conversation à la Poufsouffle. « Même si j’adore avoir des excuses pour traîner dans les couloirs après le couvre-feu, j’espère que ces changement de météo ne vont pas trop durer. » L’imprévisibilité de ces dernières semaines, bien qu’amusante, commençait à tous les fatiguer. Cela avait été le centre des discussions sans arrêt, alors la jeune aiglonne espérait que son aînée soit plus douée pour faire la conversation qu’elle ne l’était.