Il y a son rire qui raisonne dans les couloirs alors qu’elle garde ses livres contre elle, secouant la tête à la blague idiote que venait de faire Noah mais qui parvenait comme bien souvent à l’amuser malgré elle. Ophelia ne sait pas vraiment comment il fait, à vrai dire, mais elle sait que chaque moment aussi léger que celui-ci ne fait que conquérir son cœur un peu plus, quand bien même elle tentait encore de toutes ses forces de résister mais c’était comme nager à contre-courant – épuisant et inutile, parce que rien de ce qu’elle ne semblait faire ne réussissait. L’instant de faiblesse qui la pousse à tendre la main vers lui après avoir vérifié que personne n’était présent, pour venir quérir ses doigts qu’elle serre entre les siens. C’était déjà plus que ce qu’elle était supposé se permettre, consciente des risques encourus si leur proximité venait à être révélée. Seulement, il y a cette part d’elle qui peine de plus en plus à supporter les règles qu’on lui impose au nom de principes en lesquels elle ne croit pas, cette partie d’elle qui la poussait à succomber aux inclinaisons de son cœur plutôt qu’à cette raison qu’elle avait bien trop tendance à suivre. « Je devrais vraiment y aller, tu sais. » La prise du sorcier sur sa main qui se resserre comme pour l’inciter à rester un peu plus avec lui et elle aurait pu obtempérer si elle n’avait pas relevé la tête pour apercevoir la silhouette de Natalia à l’autre bout du couloir. La vipère lâche aussitôt la main du sorcier, un « je te retrouve plus tard » aux lèvres accompagné d’un regard désolé tandis qu’elle s’éclipse, le cœur battant. Elle ne sait pas vraiment ce que sa meilleure amie a bien pu voir – peut-être même qu’elle n’avait rien aperçu, pour peu qu’elle n’avait pas tourné la tête vers eux mais elle ne pouvait que s’en vouloir d’avoir été si négligente. Ophelia était plutôt habituée à être vigilante sur tout ou presque, mais elle devait admettre qu’elle avait un peu plus de mal à se contenir depuis qu’elle avait retrouvé le sorcier. Un soupir la quitte alors qu’elle resserre son emprise sur ses bouquins. Au fond, elle n’aurait pas du s’inquiéter tant que ça. Il s’agissait de Natalia, après tout, et elle était supposée lui faire confiance. Seulement la sorcière n’était plus très sûre de l’état actuelle de leur relation, parce qu’elle avait elle-même imposé une certaine distance en se montrant plus réservée avec la brune, parce qu’elle savait bien dans quel camp situait sa meilleure amie. Du moins, c’était l’impression qu’elle avait eu alors qu’elle venait de traverser des mois compliqués, à devoir garder la tête haute en dépit des murmures qu’elle pouvait entendre de temps à autres sur son passage, en dépit de son envie de hurler au monde entier qu’elle n’était en rien responsable des crimes de son géniteur. Natalia qui était restée trop neutre à son goût, si bien qu’elle avait fini par ne plus se confier, qu’elle en était venue à passer moins de temps avec la sorcière parce qu’il lui était compliquée de cacher ses pensées véritables. Elle n’en avait pas envie de toute façon – si Ophelia portait un masque la plupart du temps, elle aimait pouvoir être elle-même avec son entourage le plus proche et elle avait l’impression que ça ne pouvait plus tout à fait être le cas avec la vipère. Elle ne sait pas vraiment comment aborder le sujet, ni même si elle le doit finalement. La sang-pur se mord l’intérieur de la joue nerveusement sans même le réaliser alors qu’elle arrive enfin dans leur salle commune où elle aperçoit Natalia, dos à elle. Elle marque quelques secondes d’hésitation, hésite entre l’interroger ouvertement ou prétendre que rien n’était arrivé pour voir si elle venait à lui en parler avant d’opter pour la deuxième option. Avec un peu de chance, alors, elle n’aurait pas à avoir une discussion qu’elle ne voulait pas, une discussion qu’elle aurait pourtant adoré avoir quelques mois plus tôt. Si Ophelia a été poussée à grandir trop vite pour pouvoir supporter le poids que chaque sang-pur se doit d’encaisser, elle restait cette jeune sorcière qui aurait aimé pouvoir partager avec quelqu’un ce qu’elle ressentait pour un autre sorcier, aurait aimé pouvoir rire avec sa meilleure amie de cette attirance idiote qu’elle ressentait pour celui qui n’aurait jamais du attirer son attention, aurait aimé pouvoir tout lui confier, des sensations qui l’avaient habité au fil des contacts à la dérobée jusqu’à l’explosion des sens ressentis au premier baiser. Il n’y avait rien eu de tout ça, car elle n’était pas sûre que Natalia aurait compris, parce que le scandale de son père avait tout éclipsé. Un « hey » quitte ses lèvres, l’américaine qui n’aime pas cette drôle de sensation qu’elle ressent auprès de sa meilleure amie, la nervosité qui n’aurait jamais dû être là. « Comment s’est déroulé ton cours de zoologie ? » Des futilités lancées tandis qu’elle prenait place sur le fauteuil de la salle commune, un livre de politique magique qu’elle ouvre sans y prêter réellement attention mais plutôt pour trouver une contenance qu’elle n’avait pas tandis que son cœur tambourinait contre sa poitrine, anxieuse.

« Hey, » répondit la brune par mimétisme verbal, qu’elle agrémenta néanmoins d’un geste de la main amical. Les lèvres légèrement plissées, elle décrocha quand même un sourire timide à sa meilleure amie dont elle n’était plus sûre de l’être depuis que son père avait replongé la famille Burgess dans la tourmente. Ophelia avait pris de la distance, et si elle était parfaitement honnête avec elle-même, elle avait tout fait pour qu’elle en prenne et elle n’avait rien fait pour la retenir. Elle se sentait idiote, comme si elle la rencontrait pour la première fois et qu’elle était intimidée, ce qu’il n’y avait pas lieu d’être.

Natalia avait essayé d’afficher une certaine neutralité vis-à-vis des affaires familiales d’Ophelia, histoire de ne pas faire de commentaires désobligeants tout en soignant son image. C’était égoïste, elle le savait, mais elle devait continuer de faire attention à sa réputation. Elle comprenait que son amie ne devrait pas souffrir des conneries de son vieux, tout comme elle détesterait devoir rendre des comptes de celles de son père si jamais il venait à en commettre, mais ce n’était pas elle qui édictait les règles. C’était le nom qui était entaché, pas seulement une personne, et partant de ce constat, elle ne pouvait pas se permettre de salir son propre nom.

Mais c’était Ophelia quand même… Elle donnerait tout pour revenir en arrière, elle se sentait si bien avec elle. Pourquoi est-ce qu’il fallait que son père gâche tout ? Ah ça n’avait pas tardé… A peine la nouvelle connue qu’elle avait reçu des directives strictes de son père, des directives dont elle n’avait pas besoin, des directives qu’elle savait devoir prendre. Mais de là à les respecter pleinement, il y avait un monde. Il voulait qu’elle ne garde pas du tout de contact avec elle, comme si ce qu’avait fait son père était contagieux, comme si elle y était pour quelque chose. Non, Ophelia était sa bouée depuis des années, et maintenant qu’elle pouvait en être une pour elle aussi, elle lui tournait le dos. Elle s’en voulait, bien comme il fallait, mais elle était tellement tiraillée ! C’était atroce. Elle avait envie de se faire vomir.

« Très bien, j’adore ce cours, même si aujourd’hui, j’avais le sentiment de faire subir à un Focifère ce qu’on nous impose… » dit-elle en oscillant doucement de la tête et en s’installant dans le canapé. Elle précisa : « Tu sais, on doit leur faire subir un sortilège de mutisme pour pouvoir les prendre comme animaux domestique. »

Le parallèle entre leur condition dans l’élite et l’oiseau était assez aisée. Elles étaient de beaux oiseaux avec de belles plumes, très attirants, mais elles n'étaient là que pour la décoration d'un mari ou d'une famille. C'était une façon d'entrer en matière, même si elle continua dans les futilités comme le ferait deux bonnes amies qui debrief après la journée :

« Enfin après je t’avoue qu’une fois qu’on leur clou le bec, ça fait du bien ! Tu savais qu’il fallait un permis pour en posséder un ? Il faut aussi une certaine dextérité pour bien les viser avec le sortilège de mutisme, j’ai failli toucher Hestia au lieu du Focifère. »

Natalia s’amusa de son anecdote avec un sourire plus franc, son regard parcourant la salle même si elle guettait les réactions d’Ophelia du coin de l’œil. C'était presque revenu naturellement, presque, mais elle savait qu'elle devait aborder un sujet avec elle, un sujet qui ne la mettait pas à l'aise et qui emballait un peu son cœur. Elle essayait de se persuader qu'une amie voulant en préserver une autre s'en mêlerait, même si au fond, elle aurait préféré aborder ce sujet sous un angle totalement différent, plus léger, sous l'égide de la complicité et du partage d'expérience, de la dérision et de la moquerie gentille. L'idée de lui remonter les bretelles l'embêtait, mais Ophelia était en train de merder selon elle.
Ophelia qu’elle avait vu avec Noah quelques instants auparavant, et qui n’avait pas été très prudente. Elle brûlait d’envie de lui faire une remarque, et elle avait presque hésité à lui parler des taupes et des nifleurs, comme quoi ils ne pouvaient pas s’accoupler ensemble, mais elle trouvait le parallèle bien trop vexant même si la perche zoologique était tentante. Non, elle s'était contentée d'une vraie anecdote pour le coup. Au lieu de ça, elle lança un hameçon en retournant la courtoisie de sa meilleure amie :

« Et toi, tu as passé une bonne journée ? Comment va Noah ? »

Et sur cette dernière question, les grands yeux bleus de la sang pur se posèrent sur ceux de la jeune femme.

C’était particulier que de se sentir si tendue en présence de Natalia. Ce n’était pas comme ça avant, parce qu’elle avait été celle vers qui elle pouvait se tourner, celle vers qui se réfugiait quand elle avait besoin d’une oreille attentive. Et évidemment, il y avait Theo, Theo sur qui elle pouvait toujours compter, en toute circonstance, mais il y avait certains sujets qui nécessitaient qu’elle ne se confie plutôt à une oreille féminine. Finalement, ça aurait dû être le cas pour Noah. Elle aurait dû pouvoir lui en parler, comme lui en avait parlé à ses plus proches amis, mais elle avait été forcée de garder le secret. Il était hors de question d’en parler à son jumeau ou à Theo et Natalia.. Natalia n’était plus vraiment là. Qu’importe les conversations et les moments passés ensemble, Ophelia n’arrivait plus à lui offrir sa pleine confiance, pas après ce qu’elle venait de traverser. Leur amitié s’était retrouvée fragilisée par le façon dont sa meilleure amie avait choisi de rester en retrait quand son monde s’était écroulé au lieu de faire preuve du soutien dont elle attendait. Alors les sujets de conversation restent superficiels, le cours évoqué afin d’essayer de tâter le terrain. Elle était presque sûre que la brune avait pu remarquer sa proximité avec Noah alors son intérêt est bien tourné vers la vipère quand bien même elle fait mine de tourner les pages de son bouquin. Natalia s’installe à ses côtés et la sorcière relève les yeux vers elle brièvement à l’évocation du Focifère, un sourire au coin des lèvres trahissant son amusement malgré tout. « Tu sais, je pense que personne n’aurait rien eu à redire si tu venais à lancer par inadvertance un sortilège de mutisme sur Crabbe ou Goyle. » Les sorciers qui appartenaient à leur maison mais avec lesquels Ophelia n’avait jamais eu la moindre affinité. « Je pense même que certains t’offriraient ton poids en gallions pour récompense. » L’américaine qui exagère volontairement avant de reporter son attention sur son bouquin. Elle se demande si elle doit l’interroger, si elle doit évoquer ouvertement le blaireau. Elle n’a pas le temps de réfléchir bien longtemps car alors, Natalia évoque son prénom en une question qui fait tambourine son cœur avec force. Elle se fige l’espace de quelques secondes alors qu’elle comprend qu’elle avait découvert leur proximité et leur lien. Elle ne peut que s’en vouloir d’avoir ainsi manqué de prudence, sans doute parce que les effets de la fin d’année aussi l’avaient incité à se relâcher un peu. La brune relève les yeux vers elle, remarquant son regard bleu posé sur elle. « Noah ? » interroge-t-elle. Elle tente de ne rien montrer de son trouble et elle ne peut s’empêcher de se demander depuis quand les choses étaient ainsi entre elles – Natalia qui l’interroge et Ophelia sur ses gardes, comme si elles n’étaient pas meilleures amies depuis des semaines déjà. « J’ignore ce que tu penses avoir vu, mais tu te trompes. » Elle essaye, l’américaine, elle essaye vraiment d’apaiser les choses, d’offrir la possibilité qu’elles n’en restent là. Pourtant, une part d’elle n’en a pas envie, désire mordre et c’est à ce moment qu’elle cède, refermant son livre. « De toute façon, ce n’est pas comme si ça te regardait. » L’insinuation qui était évidente – qu’importe à quel point elles faisaient semblant, Ophelia ne l’incluait pas dans la liste des personnes à qui elle voulait se confier même si, à une époque, elle n’aurait rien désiré de plus que de trouver conseil auprès de sa meilleure amie. Ce temps lui semblait révolu au point qu’elle ne ressente une pointe de déception au cœur, ce qu’elles avaient été lui manquait réellement, qu’importe ce qui était arrivé.

Une antipathie que Natalia partageait avec Ophelia pour le coup. Crabbe et Goyle, la Levetzow les tolérait, rien de plus. Un sourire en coin, espiègle et sincère étira les lèvres de la jeune femme alors que l’image de ces deux nigauds muets s’imposait à son esprit. Non, personne n’aurait à y redire, à part Malefoy peut-être. En temps normal, l’anglaise aurait rebondie sur les propos de l’américaine, prenant son défi au sérieux, et elle aurait fomentait un plan avec elle pour tenter l’expérience. Un moment de complicité qui aurait été parfait, un coup d’éclat avant de quitter Poudlard, mais Natalia était préoccupée, Natalia ne se sentait pas très à l’aise, aussi ce sourire venait à disparaître progressivement de son faciès alors que sa vis-à-vis retournait à son livre. En lieu et place, elle se pinça la lèvre inférieure entre ses dents, signe évident qu’elle marchait sur des charbons ardents.

« Oui c’est sûr… Ce serait presque tentant. » se contenta-t-elle d’observer. Tant que les parents de ses deux crétins ne se mettaient pas dans l’idée de verser leur poids en gallions pour un mariage arrangé entre leur famille. Cette idée, ou plutôt ce cauchemar, n’était pas nouveau chez Natalia, qui se disait que son père n’accepterait pas moins qu’une famille qui apparaissait sur le parchemin. Mais bon, il ne la laisserait pas finir vieille fille quand même.

Plutôt que de se faire une frayeur avec Crabbe et Goyle, il valait mieux prendre des nouvelles – intéressées et dirigées – de la journée d’Ophelia et de son comparse de couloir dont elle semblait si proche. Natalia était maligne et rusée, et elle aurait pu prendre quinze chemins différents pour amener le sujet, mais elle ne fit pas cet affront à sa meilleure amie, préférant mettre les pieds dans le plat directement. A la seconde où leur regard se croisait après sa question hypocrite, Natalia su qu’elle avait appuyé où il fallait. « Noah. » répéta-t-elle à son interrogation en opinant du chef. Elle n’était pas dupe que ce n’était qu’une manifestation de la surprise de son amie, mais elle ne lâcha rien.

Elle acquiesça, le visage neutre, si ce n’était ses lèvres pincées. Une bouffée de colère s’insinua dans ses veines, qu’elle réprima par une lente inspiration qui dilata légèrement ses narines. Ça la regardait, oui et non. A une époque pas si lointaine, ça l’aurait regardé et de bien des façons… Ça aurait regardé deux meilleures amies qui parlaient de leur vie amoureuse, en toute honnêteté et en toute complicité. Ça aurait regardé deux sangs purs qui fantasmaient sur le fait de pouvoir choisir n’importe quel copain dans ce château sans se demander si c’était bien ou mal pour leur nom. Mais ça devait rester de l’ordre du fantasme non ? Qu’est-ce qu’elle voulait prouver ? Qu’est-ce qu’elle voulait faire ? Terminer d’achever les Burgess ? Une autre famille, Natalia aurait dit « tant pis, quelqu’un en moins dans la compétition », mais Ophelia ? Non, c’était sa meilleure amie. Si elle ne disait rien, elle n’honorait pas ce rôle, si ?

« Ah… Si je me trompe alors… » Elle haussa des épaules et ajouta après un bref moment de flottement : « Alors, d’autres vont se tromper aussi, que ça les regarde, ou pas. »

La Levetzow percuta à ce moment-là. Elle comprit d’où venait cette soudaine colère qui était venue bousculer les digues de son malaise. Elle était devenue un « autre », que ça ne regardait pas, mais qui pouvait voir le naufrage. L’émotion grimpa de quelques degrés, la rendant incapable de voir qu’elle était peut-être à l’origine de cette conséquence. Non, Ophelia l’avait mise de côté, s’était assise sur leur amitié, et cette sensation alimentait le feu. Une étincelle, ou plutôt une flammèche s’échappa dans ses quelques paroles qui suivirent :

« Alors quoi ? Tu te dis que ton père a tout fait foirer et au lieu de prendre les rennes et de remettre ta famille à flot, tu continues de forer le trou dans la coque ? »

Les deux vipères n’avaient jamais eu cette discussion. En réalité, elle ne savait pas ce qu’Ophelia se disait de son père après ce scandale, de comment l’américaine le vivait, parce qu’elle n’avait pas été là pour elle. Mais une Natalia en colère n’admettrait pas qu’elle avait sa part de responsabilité. Et puis, si elle était honnête avec elle-même, peut-être qu’il y avait une part de jalousie dans cette colère, non pas qu’elle avait des vues sur Noah qu’elle ne connaissait pas plus que ça, mais plutôt sur le fait qu’Ophelia avait le courage de dire « merde » aux traditions, ce qui la laissait sur le carreau dans cet enfer.

Elle n’aime pas la tournure que prend la conversation, même si, au fond, elle se douterait que ça allait arriver. Ophelia avait manqué de prudence et elle devait en assumer les conséquences. Elle s’estimait déjà chanceuse parce que c’était Natalia qui l’avait aperçu et non pas un sorcier qui se serait empressé de tout raconter. Elle comptait sur leur amitié, peu importe à quel point elle semblait fragile ces temps-ci, pour conserver la relation qui la liait à Noah secrète. Ce n’était sans doute pas une solution idéale mais garder pour eux ce qu’ils avaient était la seule option possible pour la vipère. Elle ne pouvait pas assumer au grand jour ce qui les unissait, parce que cela détruirait tout ce qu’elle avait construit, que, sans doute aussi, ce serait trop compliqué à gérer. Il suffisait de voir ce qui était arrivé à Caïn et Bea, réactions virulentes qui traduisaient encore à quel point leur société n’était pas prête à accepter des relations entre sorciers qui ne sont pas sang-purs. Ce n’était pas une surprise, malheureusement, mais la violence avec laquelle les Mulciber avaient réagi restait une preuve de plus de l’étroitesse d’esprit des leurs. Peut-être même que ce serait pire pour elle, car elle était sorcière – elle imaginait sans mal les insultes des plus colorées auxquelles elle devra faire face si tout venait à se savoir. Alors, égoïstement, elle préférait garder ça pour elle. Tout arrêter aurait été l’option la plus raisonnable mais elle n’en était pas capable, désirs d’un cœur qui a trop souvent abandonné pour des idéaux qui l’agaçaient et qui refusait de lâcher ce qui lui permettait de tenir. L’allusion de Natalia ne l’étonne pas. Elle aurait sans doute eu la même réaction à sa place. « Qu’ils se trompent donc. » se contente-t-elle de dire, feignant s’en moquer. L’avis de Natalia comptait plus que les leurs, même si elle ne le montrait pas alors. Elle restait sa meilleure amie, la seule sorcière avec laquelle elle s’était permise d’être elle-même. Elle aurait aimé que tout redevienne comme avant, Ophelia, qu’elle puisse la retrouver, mais c’était plus compliqué que ça, en partie à cause de la rancœur qu’elle nourrit à l’égard de la vipère. La rancœur qui flamboie à ses mots, aux accusations qu’elle lui lance comme si elle était responsable de la déchéance de sa famille quand elle avait tout fait pour garder la tête haute, pour en redorer le nom. Pire encore, elle ne supportait pas que la brune ne l’accuse aussi aisément quand, de toute évidence, elle ignorait tout de ce qu’elle pouvait traverser. « Et qu’est-ce que tu sais sur l’état de ma famille, Natalia, en dehors de ce qui est murmuré dans les couloirs ? » Elle pose le livre sur la table basse, se tourne vers elle pour lui faire face. Elle n’avait rien su de plus que les autres finalement car elle n’avait pas voulu s’en approcher, comme si elle était une pestiférée dont le scandale risquait de la contaminer. « J’ai passé ces dernières années à redorer le nom qu’il avait déjà terni pour constater que cela ne servait à rien, parce que ses actions continuent à avoir de plus lourdes conséquences sur moi qu’elles n’en auront jamais sur lui. » Leurs iris bleus se rencontrent, acier contre acier, duel qui n’aurait jamais eu avoir lieu. « Tu ignores tout de ce que j’ai pu traverser ces derniers mois. » Et, sans lui laisser le temps de répondre, elle continue. « Tu veux savoir ce que Noah a fait ces derniers mois ? Il était là. Il me soutenait, quand tu as décidé de rester en retrait parce que tu préférais te protéger qu’être présente pour moi comme tu aurais du l’être pourtant. » Son cœur bat à tout rompre, cogne contre sa cage thoracique, prêt à bondir sous l’effet de l’injustice. Elle lui en voulait de ne pas avoir été là et, aussi, de la pousser à s’agacer, de la pousser à s’en prendre à l’une des seules amitiés dont elle avait véritablement besoin.

Natalia avait lancé les hostilités et Ophelia n'avait pas tardé à mordre, signe que leur amitié en ce moment se résumait à une certaine forme de colère latente qui commençait à déborder du chaudron. Leurs précédentes disputes n'avaient pas macéré autant. Était-ce parce qu'elles devenaient adultes qu'elles n'étaient plus capable de laisser libre cours à leurs émotions les plus basiques comme le feraient des adolescentes mal dans leur peau ?
Depuis quand Natalia redoutait ce face à face avec sa meilleure amie ? Depuis quand redoutait elle ses réactions ? Elle vibrait, de stress et de colère, et elle prit conscience qu'elle triturait le coin d'un de ses ongles comme pour se venger du retour de flamme qu'elle prenait dans le visage. Histoire d'arrêter, elle ferma ses deux poings sur ses cuisses, inspirant lentement par le nez tout en toisant Ophelia qui la dévisageait maintenant de ses beaux yeux désormais si expressifs. S'ils avaient pu lancer des éclairs, un orage aurait éclaté dans la salle commune.
Natalia n'avait pas envie de se donner en spectacle devant tout le monde mais elle était focalisée sur son amie, le reste des gens pouvait bien aller se rhabiller. Le plus dur pour elle, c'était de ne pas se montrer sarcastique comme elle savait si bien le faire, quand elle savait qu'elle avait une part de responsabilité dans cette dispute. Il serait facile d'être de mauvaise foi et de railler son adversaire par de l'ironie calculée pour blessée. Cependant, Ophelia n'était ni son adversaire, ni son ennemie, et Natalia n'en pouvait plus de cette mascarade d'indifférence polie. Elles n'en étaient plus là. Il fallait crever l'abcès et malheureusement pour Noah, il était le catalyseur qui allait guider le scalpel.

« Et donc, tu as décidé de te jeter dans les bras du premier sang… du premier venu qui a saisi l'occasion alors que tu baissais ta garde ? » C'était à son tour de ne pas la laisser parler. Elle avait failli employer une expression qu'elle aurait sans doute regretté au regard de l'état d'Ophelia. Si sa meilleure amie avait fait l'erreur de tomber amoureuse d'un sorcier qui n'était pas de sang pur, l'insultait ne résoudrait rien, bien au contraire. Déjà qu'elle lui prêtait des intentions limites… Bon, la défense était quand même caustique, relevant presque du sarcasme en prêtant à Ophelia des intentions qui n'étaient certainement pas les siennes, mais Natalia était heurtée par les reproches qu'elle venait de prendre, à raison mais elle ne le reconnaîtrait pas aussi facilement. Alors le plus simple était de sortir les crocs et le venin.
« J'étais là pourtant. » La vipère se mentait à elle- même. Elle ne s'était pas rendue très accessible et elle n'avait rien fait pour aller vers son amie comme elle aurait dû le faire. Mais Ophelia aurait pu la solliciter, non ? Elle l'aurait écoutée… La brune déplia ses doigts pour qu'ils ne forment plus ces poings fermés sur ses cuisses, pour ajouter du non verbal à son discours. Elle se pointa de son index. « Mais c'était peut-être plus facile de ne pas vouloir entendre ce que Natalia avait à dire. » Elle secoua la tête : « Pourtant, toi et moi… » Elle n'acheva pas sa phrase mais elle était partie pour dire que c'était pour la vie mais l'anglaise avait toujours eu du mal à parler de ses propres émotions. Les évoquer l'envahissait de trop, lui coupait le souffle, et elle serait à deux doigts de pleurer. C'était hors de question, aussi prit elle une voie moins personnelle. Après cette hésitation, elle ajouta, vibrante d'une émotion palpable qui laissait transpirer son léger accent germain : « Que tu m'évites, que ce qui se dit sur ton père créait du tumulte entre nous passe encore mais… Je, je ne permettrais pas qu'on te fasse du mal parce que tu as décidé d'essayer de faire en sorte que tes actions aient de plus lourdes conséquences sur lui ! C'est sûr toi que ça va retomber ! Il ne mérite pas que tu souffres… »

Elle repensait à Bea, à cette folie qui s'était emparée de ces furoncles de Mulciber. Que se passerait il si jamais ça se savait ?  

« Ce n'est pas un concours, Ophelia ! C'est notre foutue réalité ! Redescend ! »

Si on touchait à un de ses cheveux, elle ne répondrait plus de rien.