La fin d’année approchait. Natalia avait été une élève exemplaire dans biens des domaines, notamment en cours où elle essayait de briller par ses résultats à défaut de son comportement, plus ou moins fermé et peu participatif. Ce n’était réellement qu’en huitième année qu’elle s’affirmait un peu plus, trouvant dans les enseignements et dans les enseignants une source de motivation bienvenue. Ou peut-être était-ce la perspective du monde adulte qui s’ouvrait à elle et qui lui donnait de l’assurance. Oh, pas qu’elle en avait manqué jusque-là… De la maturité alors ? C’était peut-être un peu plus de ça qu’il s’agissait que d’assurance.

Natalia, c’était l’élève qui ne faisait pas de vague, mais qu’il ne fallait pas chercher. Elle avait son petit caractère, sa dignité mal placée, son allure fière qu’elle tenait de sa lignée, et de l’ambition plein les poches. Ceci dit, du fait d’une éducation stricte, rigoureuse, dépourvue d’amour, et dont l’objectif était d’en faire une plante verte bien cultivée qui ne ferait pas honte à son mari, à son sang, à sa famille, une certaine forme de transgression de l’autorité était née dans sa petite tête bien faite. Cette transgression, elle s’exprimait notamment par des petites balades nocturnes , et des conneries pas très importantes. Elle ne voulait pas jeter le discrédit sur sa famille, comme toujours. Non, ce n’était que de la provocation, parfois à destination de son père, qui n’hésitait pas à la battre à l’occasion quand elle était plus jeune. Maintenant qu’elle était plus grande, il n’osait plus, surtout qu’il s’était rendu compte qu’elle commençait à chercher la petite bête pour l’affronter les yeux dans les yeux pendant qu’il s’en prenait à elle.

Otto était intelligent, il avait clairement senti qu’il était sur une pente glissante avec cette forme de rodomontade physique. Il avait déjà une fille soumise, sage, bonne élève, qui se donnait au maximum pour sa famille, à quoi bon la battre pour en faire une bête aux aboies qui allait se retourner contre la main qui la nourrissait ? Il avait changé son fusil d’épaule. Il y avait bien longtemps qu’il n’y avait plus eu de brimades corporelles.

« Pour ce à quoi ça m’avance… » souffla-t-elle au vent. Elle se parlait souvent à elle-même, murmure lancée à ses oreilles comme pour une discussion informelle entre deux personnes. Il était pas loin de trois heures du matin. Elle savait qu’elle enfreignait les règles de Poudlard en se trouvant ici à cette heure-ci. Si elle se faisait attraper, sa maison allait perdre des points, et elle aurait des ennuis.

C’était son endroit favori de nuit. Quand le ciel était bien dégagé, la lune grosse et scintillante, les étoiles bien visibles, alors tout se mélangeait. Accoudée à la rambarde du pont couvert, tournée du côté du lac, elle contemplait l’horizon qui s’entremêlait. L’eau renvoyait l’image du ciel, le troublant dans son léger clapotis quand il y en avait.

Natalia tenait une pomme. Depuis quelques temps maintenant, elle retombait dans ses travers alimentaires. La faute à sa vie, disait-elle, la faute à sa famille, la faute à son avenir. Si elle la mangeait ce soir, ce serait là le seul apport calorique depuis la veille. Elle avait réapprit à manger normalement avec Ophelia, mais depuis qu’elles s’étaient éloignées, depuis que la huitième année était bientôt terminée, depuis que sa majorité approchait, depuis que la pression sur ses épaules grandissait avec une réalité toute pesante, elle retombait dans les affres de ses troubles. Cette pomme, elle ne la regardait pas, elle la tenait simplement. Non, son univers visuel se limitait à ses pensées tandis que le bleu de ses yeux étaient perdus dans la noirceur lumineuse de la nuit.

La Serpentard avait peur de l’avenir. Elle avait peur que son épouvantard sorte du placard. Il arrivait, pernicieux, rampant dans l’ombre, il allait s’emparer d’elle et régir sa vie. Son père avait certainement trouvé un sang-pur pour la marier. Arriverait-il à la caser dans une des familles du registre ? C’était là l’objectif, tout reposait sur elle.
« J’aurai vraiment mieux fait d’en draguer un de mon âge pour assurer le coup. » souffla-t-elle à nouveau alors que son cœur s’étreignait dans sa poitrine. Mais bon, tout le monde savait que dans leur monde, le choix n’était pas le sien. Alors, il lui restait à prendre ce qu’on lui donnerait. Avec un peu de chance, elle tomberait sur quelqu’un d’intelligent, beau, moderne, avec qui elle avancerait en équipe, et pas en suiveuse. Sinon, il lui restait la possibilité de diriger dans l’ombre de son mari, de le tenir par un levier, le manipuler en quelque sorte.

L’hululement d’une chouette dans le lointain attira son oreille, la tirant de sa rêverie. Il allait être temps de rentrer sans se faire attraper. Elle posa la pomme sur la rambarde. Est-ce qu’avec un expelliarmus bien placé, elle pouvait expédier ce fruit dans le lac ?

Natalia tourna son faciès vers le visiteur qui arrivait depuis l’intérieur du château. Pour ne pas se faire attraper, c’était trop tard. Elle reconnu d’abord la voix du préfet de Gryffondor avant de l’identifier physiquement. Sa baguette toujours pointée sur le fruit, elle murmura de façon parfaitement audible pour le jeune homme alors qu’elle reportait son attention sur sa cible :

« Petite pomme, tu dois ton salut au très fier représentant des lions de ce château. J’espère que tu en seras reconnaissante. » Elle détendit son bras pour ramener sa baguette le long de sa hanche et de sa main libre, elle attrapa la pomme tout en effectuant une volte souple vers Damian pour lui faire face. Un sourire espiègle s’afficha sur ses lèvres comme à chaque fois qu’elle se faisait pincer. Le charme avant les griffes.

« Damian Selwyn, le phénix de Gryffondor, né dans la pureté du sang, revenu à la vie, bâtard et pestiféré. »

Jusqu’à présent, elle n’avait pas été de ceux qui s’en étaient pris ouvertement à lui, ou qui avait pu chuchoter sur son passage. Il y avait bien longtemps qu’elle avait rangé son arrogance de sang pur de ses premières années au château, même si elle avait une ligne directrice, une conduite, et qu’elle manœuvrait sa barque comme elle pouvait. Elle avait simplement pris ses distances, comme elle avait pu le faire avec d’autre, d’autre comme Ophelia. Ça la rongeait, ça la contrariait toute cette fichue politique du sang. Elle aimait bien Damian. Et elle lui rendait mal en cette nuit étoilée. Elle avait un don pour tout foutre en l’air. Ce soir, elle était d’humeur maussade, elle en voulait à tout le monde, elle s’en voulait à elle-même. C’était sans doute une des premières fois où ils se retrouvaient tous les deux face à face depuis le scandale qui l’avait privé encore une fois de quelqu’un. Il y en avait marre ! Ça la mettait en colère, même si au fond, Damian n'y était pour rien.

Néanmoins, son ton sonnait comme une constatation, pas comme une menace ou une moquerie, même s’il y avait tout lieu, au regard du contenu, qu’il le prenne très mal, malgré le sourire provoquant de la vipère brune Elle tendit la pomme à son vis-à-vis alors qu’elle s’était un peu rapprochée : « Je mangeais une pomme, mais tu m’as coupé l’appétit. Est-ce que tu la veux ? »

Elle était tout sauf en train de manger cette fameuse pomme. « Une porte est faite pour être ouverte, c’est ce que j’ai fais. Bref, il faut que je te dise comment me couvrir ou tu ne veux plus le faire, maintenant que... ? » Maintenant que tu n’es plus un sang pur, fit-elle raisonner dans cette phrase qui n’était pas terminée. Elle continuait de lui tendre la pomme l’air de rien, sans agressivité, sans animosité. Damian connaissait le côté transgressif de Natalia, ce n’était pas la première fois qu’il l’attrapait à des heures indues, il connaissait sûrement son côté provoquant aussi, mais était-ce juste une forme de provocation moqueuse sur ce qui lui était arrivé, ou bien était-ce autre chose de plus malaisant ?

Elle ajouta : « De toute façon, il est encore l’heure où j’ai le droit d’être dehors, non ? » minauda-t-elle, sachant très bien que non.