J’avais l’impression d’être lessivé. D’être passé dans un tambour, durant des jours. Cette épreuve, j’avais cru qu’elle était facile. Je croyais avoir compris. Mais cette suite… Cela avait encore ébranlé ce que j’avais cru, que ce n’était que de la manipulation pour m’ébranler, mais que ce serait fini.

En vérité, ça ne faisait que commencer, et j’avais la sensation qu’on mettait à l’épreuve mes couleurs jaunes et noires. Ma loyauté. Ma compassion. Tout ce qui faisait que j’étais digne d’être un blaireau. Digne d’être parmi les êtres les plus doux, les plus renommés pour leur gentillesse de l’école. J’aimais cette étiquette, je la soignais, je la cajolais, et j’avais la sensation qu’on voulait me faire devenir un autre.

A voir Hagrid, cet homme si gentil, si aimant des animaux, pleurer pour cette poule que j’avais vue être mangée par mes coéquipiers, pleurer tel un enfant alors qu’il était si impressionnant… Je n’avais pas réfléchi, j’avais pris le poussin, espérant que ça mettrait du baume sur sa blessure. Mais à peine avais-je fait deux pas, je m’étais arrêté. Car il m’avait fallu quelques secondes pour comprendre ce qu’impliquait ce véritaserum. Je serai forcé d’ajouter de la peine à Hagrid, encore plus, en lui expliquant comment était morte sa poule. Lui désigner des coupables.

Est-ce que c’était une souffrance supportable ? Est-ce que ça valait le coup de le lui dire ?

Je me moquais de ce que je pouvais ressentir, je n’avais perdu personne. Juste un peu de mal à avaler qu’ils aient mangé sans moi. Ce n’était pas grave. Et un mensonge, si je n’aimais pas ça, je pouvais l’accepter. Faire de la peine ? Alors que je savais que j’aurais pu lui épargner cette peine ?

C’était comme si on m’annonçait la mort d’un proche, et qu’on me disait combien il avait souffert. Mon empathie, ma peine, mon deuil, tout serait décuplé à savoir qu’il avait pu ressentir de la douleur, de la peur dans son départ pour un autre monde.

Alors qu’Hagrid pleurait, là, sa poule… Mais… Au moins il ne savait rien de ce qu’elle avait pu traverser. Dans le pire des cas, probablement penserait-il qu’il avait perdu sa trace, qu’elle avait trouvé l’amour, l’amitié ailleurs, et qu’elle était heureuse là où elle était ?

J’eus un haut-le-cœur. Je n’avais jamais réellement réfléchi à d’où venait la viande dans mon assiette. Je n’avais jamais réfléchi à ces animaux mourant pour que je puisse me régaler de ces cuisses, de ces côtes. Je l’avais toujours su, d’où ça venait, mais quant à savoir réellement ? Il me semblait que j’allais mieux quand j’étais dans ce déni commun à tant de personnes.

De tous les maux, choisit le moindre.

C’était une phrase que je m’étais toujours répétée lorsque j’étais face à des choix cornéliens. Je regardais ce poussin dans mes mains. Ce poussin, dans tous les cas, il finira quelque part, probablement ramassé par un professeur, de la même façon qu’il avait fini là. Le donner moi-même à Hagrid, ce serait lui dire que ce poussin remplacerait sa poule. Personne, rien, ne pouvait remplacer ce qu’on avait aimé.

Tandis que si je laissais le poussin là où il était, là où je l’avais trouvé… Ce poussin retrouvera sûrement Hagrid plus tard, et il s’y attachera probablement mieux que s’il était entâché du souvenir de sa poule.

Je restai figé bien cinq minutes, à me demander quel était le meilleur choix.

A me demander si je faisais ça par amitié, par compassion.

Ou si je le faisais pour m’épargner de dire la vérité.
Ou pour protéger mes camarades.
Ou pour protéger Hagrid.
Ou pour tout.

Je l’ignorais, mais le choix devait être fait, vite. Je fermai les yeux, quelques secondes.

Je ne pouvais pas.

Alors, doucement je revins là où j’avais pris le poussin, me baissant pour lui parler en face à face. « N’aie pas peur, petit poussin. N’aie pas peur… Quelqu’un viendra te chercher. Ce sera sûrement un homme grand, avec une grande barbe fournie. » Je jetai un œil vers Hagrid, toujours en larmes. Il me brisait le cœur, et ça me le brisait encore plus de faire ce que je faisais. « Ne t’en fais pas, il prendra soin de toi. Je ne peux pas t’emmener tout de suite, je… » Je baissai la tête, de honte. « Reste là. Je dois y aller. » Puis, je me relevai. Je partis en direction de la porte, murmurant un mot d’au revoir à la bête qui me suivait du regard, et j’arrivai face à mes camarades, désormais doté d’un sac marron au ruban noir.

J’avais le visage déconfit. Et à les regarder, je ne parvenais pas à leur en vouloir. Alors tout ce que je déclarai, et ce sera tout ce que je dirai sur cette épreuve, fut : « Je ne mangerai plus jamais de viande. »

Il avait l'estomac noué, Zabini, et de la sueur froide maculait sa chemise. L'attente avait été interminable. Jamais il n'aurait voulu passer premier, préférant laisser un camarade se lancer - et revenir -, mais il n'aurait pas imaginé devoir attendre que les trois terminent leur épreuve, ce qu'il n'avait pas du tout fait avec patience. Au contraire, lorsque le signe qu'une autre maison passerait avant lui, il ne se refusait pas un claquement de langue ou un soupir. Zabini avait regardé d'un œil sombre ses coéquipiers entrer puis ressortir psychologiquement marqués ; pendant ce temps qui lui avait paru interminable, il ne pouvait que se demander ce que l'épreuve allait lui réserver.

Puis son tour vint enfin. Lorsque le sort lui indiqua le chemin, il eut l'impression d'avoir pris une bonne centaine de kilos en l'espace d'une fraction de seconde. Ses talons refusaient tout bonnement d'effectuer le moindre pas - ou alors sans le contenu de son estomac. Sous l'œil attentif de ses coéquipiers qu'il ne voulait pas décevoir, Blaise prit une grande inspiration et franchit la porte, qui se verrouilla derrière lui. Aussitôt, il fut pris de panique et chercha son souffle ; c'est alors qu'il vit un éclair sombre traverser un rai de lumière : dans son angoisse qu'il n'arrivait pas à contenir, Blaise crut reconnaître Nott. Choisissant sans hésiter une silhouette connue plutôt qu'une vague énigme de botanique pour laquelle il n'avait aucune envie de salir ses mains hydratées, Blaise se précipita sur la porte à travers laquelle il avait aperçu son préfet. Au passage, il attrapa sans vraiment s'en rendre compte le sac au-dessus de l'inscription Belladonne.